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Comment devenir diabétique a changé ma perception des inégalités ?

Par Nina Tousch – Publié le 19/03/2021

Crédit photo : T1international. En 2017, Elizabeth Pfeister (premier plan) et T1international manifestent contre la hausse des prix de l’insuline devant les locaux du laboratoire Eli Lilly à Indianapolis.

Sur internet, on parle beaucoup de « communauté diabétique », comme si nous formions une unité et que nous partagions une même vision du diabète. Mais sommes-nous vraiment une communauté ?

Le diabète, on partage ?

Entre personnes diabétiques, nous sommes liés par une même condition, mais mis à part l’insuline nous ne partageons pas tous le même combat ; nous avons des vies, des projets et des intérêts différents. Ce n’est pas parce que nous sommes diabétique que nous devons faire de notre diabète un objet politique. 

ÊTRE diabétique OU ne pas AVOIR accès à l’insuline, telle est la question.

Nous nous accordons néanmoins sur un sujet : nous défendons tous une meilleure représentation du diabète (de type 1 et de type 2) dans les médias et luttons contre les stéréotypes (et s’ils nous collent à la peau ce n’est pas parce que nous sommes enrobés de sucre mais parce que les médias sont mal informés). Nous sommes tous d’accord pour défendre notre identité (de) diabétique. 

Nous mobilisons plus facilement nos efforts (et notre colère) en tant que communauté diabétique à l’égard d’un pâtissier promouvant une crème au caramel « 100%  diabète » plutôt qu’envers un laboratoire pharmaceutique qui produit un médicament ou une technologie pour le profit plutôt que pour la survie. Puis, avouons-le, boycotter l’insuline n’est pas l’idée la plus brillante qu’une personne diabétique puisse avoir. 

Cependant, défendre l’identité diabétique est un combat privilégié. En effet, avant même de pouvoir se battre pour qui ils sont, certains doivent se battre pour ce qu’ils n’ont pas : de l’insuline gratuite. Pour lutter pour l’identité diabétique, il faut déjà avoir accès à de l’insuline et à d’autres dispositifs médicaux. À mon sens, le combat de l’identité diabétique vient après le combat à l’accès à l’insuline. C’est un combat abstrait et immatériel, pas totalement inutile mais pas fondamental. Alors que le combat à l’accès à l’insuline et aux autres dispositifs médicaux est vital puisque même nous, pour nous battre, nous devons être en bonne santé. Je vois mal une révolution menée par des milliers de diabétiques de type 1 en acidocétose.

La campagne publicitaire du laboratoire Dexcom au Super Bowl américain illustre parfaitement le paradoxe de l’engagement des personnes vivant avec un diabète de type 1. En février dernier, Dexcom a financé pour des millions de dollars une campagne publicitaire qui a été vue par des millions de spectateurs lors de la finale du championnat de football américain. Les réactions sont mitigées. Certains félicitaient la démarche de promotion de l’image de la personne diabétique moderne, connectée et insouciante, tandis que d’autres critiquaient le fait qu’une industrie dépense des millions de dollars pour faire la promotion d’une technologie qui n’est pas accessible pour la majorité des américains. 

La communauté diabétique n’est pas si homogène qu’on ne le pense : certains ont le diabète, certains le sont, certains en souffrent, certains en meurent, certains gagnent de l’argent grâce à lui. En devenant diabétique, j’ai été involontairement mêlée à un système inégalitaire que j’ai d’abord approuvé mais qu’aujourd’hui je critique. Malgré ma réflexion, je me sens écrasée par la tyrannie diabétique et je ne cesse d’idéaliser le jour où les rapports de force s’inverseront et les laboratoires ne seront plus tout-puissant.

 

Le diabétique est un esclave moderne Ou une interprétation libre du « Discours de la Servitude Volontaire » d’Étienne de La Boétie. 

Comment le système arrive-t-il à dominer un peuple diabétique ? On pense à tort qu’une personne diabétique perd sa liberté le jour de son diagnostic parce qu’elle devient dépendante d’un système de santé et de plusieurs médicaments. Mais c’est le peuple diabétique qui délaisse sa liberté et non le système qui la lui prend. Comment expliquer que le peuple diabétique accepte le système et lui obéisse ? Seule la servitude du diabétique permet au système de rester tel qu’il est. 

L’une des raisons de la servitude diabétique volontaire se cache derrière les différents stratagèmes que les puissants usent pour amoindrir le peuple diabétique. En effet, les puissants utilisent le divertissement et la communication digitale pour plaire au peuple. Pis encore, certains utilisent la superstition pour susciter la crainte de l’hypoglycémie et forcer l’activation d’alarmes prévenant les hypos à 55 mg/dL sur les capteurs de glycémie. Mais la principale raison pour la laquelle ce système tient, c’est parce que la majorité de la population diabétique se met au service du système. Partenariats rémunérés, jeux-concours, diabétologues corrompus, prescriptions biaisées et congrès sponsorisés… ceux-là même qui ont le pouvoir de faire basculer la pyramide de la domination sont assujettis.

 

COMMENT SORTIR DE LA SERVITUDE DIABÉTIQUE VOLONTAIRE ?

Pour sortir de cet assujettissement, le peuple diabétique doit sortir de l’habitude. Ce n’est qu’en devenant maître de son diabète que le peuple connaîtra la liberté. Si nous sommes assujettis, ce n’est pas parce que les puissants sont puissants mais parce que les plus faibles ont renoncé au désir de liberté et d’autonomie. Être insulino-dépendant n’est pas contraire à la liberté. Assumez donc votre liberté d’être humain raisonnable et diabétique et de choisir votre système politique diabétique. Le mouvement #WeAreNotWaiting ( « nous n’attendons pas ») et les boucles fermées faites maison ne sont-il pas les premières manifestations d’une désobéissance civile ? Ne vous détrompez pas, une révolution a déjà commencé. Une désobéissance passive suffit à briser les chaînes de la domination.

 

 

 

 

 

La ménestrelle

ÉCRIT PAR NINA TOUSCH, LE 19/03/2021

Nina a créé Diabetopole en septembre 2020, tout juste huit ans après être devenue diabétique. Elle aime tenir informé les diabétiques sur ce qu’il ce passe sur la planète Diabète et n’hésite pas à aller au bout du monde pour vous rapporter des infos croquantes. Suivez-la sur les réseaux sociaux.

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